Pour son concert de Noël 2016, le quinzième depuis qu'elle assure la saison de Musique ancienne à l'Arsenal, la Scola Metensis chante d'amont en aval, partant de ses habituelles terres paléochrétiennes et grégoriennes pour explorer le répertoire issu du chant grégorien dans la suite des siècles.
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Quand au milieu du IXe siècle, si l’on en croit le chantre liturgiste Amalaire de Metz († vers 850), la composition du chant messin dit grégorien, à partir des répertoires romain et gallo-franc, est achevée, les chants demeurent en place pour plusieurs siècles. Mais la créativité musicale ne s’arrête pas pour autant : la voici surgissant dans les espaces encore libres et les interstices.
Le mélisme, la mélodie pure, sine verbis, vient dilater sans commune mesure la voyelle de la syllabe. C’est l’idée que le lyrisme, ne pouvant se satisfaire du carcan de la langue, fait éclater le mot en musique. En donne l’exemple ici la très longue vocalise sur fabrice mundi qui clôt le répons Descendit de celis, troisième répons des Matines de Noël, que nous chantons d’après le bréviaire de notre cathédrale (manuscrit 461 de la Médiathèque).
Le texte de ce répons, attribué à Amalaire, a été vivement critiqué par Agobard († 850), évêque de Lyon, pour ses métaphores trop audacieuses. Amalaire nous dit, dans le prologue d'un de ses ouvrages liturgiques, que seul le neuma (vocalise sans paroles) pouvait rendre compte de l’ineffable : lux et decus universe fabrice mundi, « la lumière et la beauté de l’universelle construction du monde. »
Les répons étaient très appréciés au Moyen Âge. Ces méditations chantées, situées après les lectures à l’office des Matines, servaient aussi pour les stations et les processions. Ces pièces requièrent un très grand entraînement des chanteurs. La vocalise sur fabrice mundi balaie un large ambitus avec de grands sauts d’intervalles.
À partir du XIIe siècle, la polyphonie et les nova cantica, regorgeants de poésie et d'invention musicale, éclatent dans les églises romanes. L’abbaye Saint-Martial de Limoges innove avec ses tropes (textes ajoutés à des mélodies préexistantes) et ses versus (chants rimés) tout comme, au siècle suivant, l'École Notre-Dame de Paris avec ses organums (polyphonies de différents styles sur le plain-chant grégorien), ses conduits (chants à une ou plusieurs voix accompagnant une procession ou une action liturgique) et ses motets.
À notre programme, le conduit Da laudis homo, d'un tropaire-prosaire de Palerme daté vers 1150, invite à entonner des chants nouveaux pour célébrer la joie de Noël. On en goûtera les récitations sur deux cordes chantantes, dont la seconde à l’aigu porte le seul mélisme de la pièce, ainsi que les mots abondamment répétés et scandés en fin de strophe.
Le conduit Gaudens in Domino, plus tardif,
d'un manuscrit de Dießen en Bavière, se chantait la nuit de Noël pendant que le chantre se déplaçait jusqu'à l’ambon pour la lecture : « ... Et toi, ô lecteur, avance-toi, entonne ton premier
chant... »
par la Scola Metensis
enregistrement public du 29 décembre 2016 à Metz
Le motet (du latin motetus : littéralement petit mot) est aussi très à la mode au XIIIe siècle et peut revêtir plusieurs formes. Ainsi, dans notre programme, le motet Iam novum sidus / Iam nubes dissolvitur est pluritextuel : les troix voix font entendre deux textes latins différents superposés au « petit mot » Solem, dont la vocalise issue du plain-chant est étirée en valeurs longues.
Voici à présent la monumentale séquence In natale Salvatoris qui donne son titre à notre concert et que la Scola chante pour la première fois : elle fut composée, dans un latin éblouissant et d'une grande force théologique, par le moine-poète et musicien Adam († vers 1146) de l'abbaye parisienne de Saint-Victor, qui fut aussi chantre à Notre-Dame. La séquence est, à son origine au IXe siècle, un chant composé sur le jubilus (grande vocalise) de l'alléluia de la messe ; elle deviendra un genre autonome comme, par exemple, le Dies iræ ou le Stabat mater.
Le choix des pièces de ce programme a été guidé par la beauté et l’intérêt musical des mélodies mais aussi par le sens des textes. L’ensemble est fort, sans mièvrerie : tels sont les récits bibliques. La dimension collective de Noël y est frappante : « Un enfant nous est né… Tous applaudissent aujourd’hui… » (Puer natus est nobis, Flore vernans). Autour de la crèche vont et viennent pauvres et riches, ceux de la même ethnie et les étrangers, les bergers qui sont là (Quem vidistis, pastores) et les rois qui arrivent de loin (cantique Puer natus, trope Vide prophetie). Les chants médiévaux du temps de Noël saluent en l’Enfant le Salvator mundi (antienne Angelus ad pastores) ou le Princeps pacis, le Prince de la paix (lecture Primo tempore).
enregistrement public du 27 décembre 2002 à Metz
Parmi les raretés de ce concert, la Scola présente aussi, d'une Bible des Noëls, un touchant Kyrie « farci » en vieux français, chanté dans les églises de France jusqu’au XVIIIe siècle, ainsi que le trope-conduit Vide prophetie, construit sur le célèbre Viderunt omnes à quatre voix de Pérotin (1160-1230), maître de l’École Notre-Dame de Paris.
Marie-Reine Demollière
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