Symbole du christianisme, la croix est bien représentée dans les collections du musée de La Cour d'Or de Metz.
Des sarcophages au chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains, elle marque de son efficace simplicité le décor des églises du haut Moyen Âge, les monuments funéraires et les objets de la liturgie, en signe de victoire sur la mort.
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Accompagnement musical :
Domine audivi
canticum grégorien pour l'office de la Croix du Vendredi saint
Dans cette page du Te igitur, folio 15v du Sacramentaire de Drogon, réalisé à Metz entre 845 et 855, la barre transversale de la lettre T ouvrant le canon de la messe abrite un épisode de l’Ancien Testament : Abel, Melchisédech et Abraham apportant leurs offrandes à l’autel.
Cet épisode préfigure la Crucifixion et par coïncidence, le T évoque la croix.
Une petite croix latine aux bras légèrement évasés est munie d’un tenon qui permettait de fixer le pied de la croix sur un socle.
Elle est exposée au musée dans la vitrine de la salle nommée Origine du christianisme, aux côtés de fragments d’épitaphes en marbre (dont l’un gravé d’une colombe bien connue du Centre d’Études Grégoriennes de Metz) et d’autres objets provenant du site de l’amphithéâtre gallo-romain qui fut aussi celui du premier oratoire chrétien de Metz.
Gravée d’une grande croix latine pattée dont la branche supérieure est particulièrement développée, une pierre tombale en calcaire du haut Moyen Âge découverte sur le site de la Lunette d’Arçon (Metz-Sablon, 1909) est accrochée au mur de la salle Des guerriers et des rois, parmi d’autres portant croix et symboles christiques de l’alpha et l’oméga.
La croix érigée en symbole chrétien est présente pendant le haut Moyen Âge et encore dans l’art roman.
Une croix grecque pattée a été sculptée au linteau en pierre provenant de Rozérieulles (Moselle) et présenté dans la salle Art roman comme en sa fonction architecturale originelle de soutien au-dessus d’une porte.
La croix est le seul élément qui se rapporte au christianisme dans ce linteau, où elle côtoie des entrelacs à feuilles tréflées et un étrange animal : elle est le signe de l’Église victorieuse du démon.
C’est sous le signe de la croix que Gérald Collot, conservateur du musée de Metz dans les années 1980, avait disposé la clôture du chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains dans un espace suggérant le volume d’une basilique.
La grande croix rétroéclairée établit une correspondance symbolique avec les croix sculptées aux VIIe et VIIIe siècles sur les plaques et les piliers du chancel.
Sur ces derniers, on observe d’ailleurs les deux types de croix : croix grecque pattée, croix latine.
Sur ce pilier en calcaire, le registre supérieur est orné d’une croix grecque pattée munie d’un tenon.
Au-dessus d’entrelacs de rinceaux et de serpents, on observe une croix latine et le départ d’une autre qui lui était superposée.
Cette plaque du chancel à décor d’arcades et de croix pattées fut récemment présentée à l'exposition Credo de Paderborn.
Jésus crucifié n’est pas représenté dans l’art avant le Ve siècle, la croix étant demeurée associée au mode de supplice infligé dans le monde romain jusqu’à l’abolition de cette peine par l’empereur Constantin (306-337).
Les représentations de la crucifixion se font plus nombreuses au VIe siècle : la mort du Christ est essentielle dans la foi chrétienne.
Au symbolisme épuré de la croix succède peu à peu la représentation du Crucifié, malgré la tourmente des manifestations iconoclastes pendant la Querelle des images (VIIIe – VIIe s.) : la croix s’humanise en devenant support de la Passion du Dieu fait homme.
La symbolique demeure pourtant forte chez les Carolingiens : dans son livre intitulé Liber de laudibus sanctæ crucis, le théologien et archevêque de Mayence Raban Maur (847-856) présente sous la forme de calligrammes une exaltation de la Croix qui chante la Gloire du Christ ressuscité d’entre les morts. Le Christ apparaît ici vivant et vainqueur, la croix s’efface.
Une fois surmontées les querelles théologiques, les Carolingiens nous ont offert une vision cosmologique de la Crucifixion, plaçant le Christ crucifié au centre d’une narration dont les acteurs sont notamment les astres (Soleil et Lune sous les anges au registre supérieur) et les éléments (Océan et Terre au registre inférieur).
Sur la plaque de reliure qui ornait le livre liturgique commandé par l’évêque de Metz Adalbéron II (984-1005), exposée Salle de l'An mil, un sculpteur de grand talent a représenté tous les protagonistes de la grande tradition de l’art de l’ivoire et de l’enluminure dans laquelle s’illustrait Metz depuis l’époque de son évêque Drogon (823-855), déjà rencontré ici au sujet d’un fameux sacramentaire éponyme.
Des liens stylistiques existent entre cette sculpture miniaturiste de l’ivoire et la sculpture monumentale qui vit un apogée à l’époque romane avec les impressionnantes statues de Christ en bois polychromé.
Dans l’Allemagne des empereurs ottoniens, des croix semblent s’être inspirées des ivoires pour la silhouette sinueuse du Christ, affaissé sur la croix (cathédrales de Cologne et de Hildesheim) et non plus victorieux, comme ici sur la croix dite de Gero, du nom de l’archevêque de Cologne qui commanda cette œuvre.
Le Christ glorieux des Carolingiens triomphe parfois encore jusqu’à l’époque romane, tandis qu’à partir du Xe siècle certaines œuvres laissent entrevoir l’image d’un Christ plus souffrant, voire d’un Christ mort dont le Moyen Âge finissant exacerbera le caractère dramatique.
Sculpté dans la pierre de Jaumont, un Christ du XVe siècle récemment acquis par le musée de La Cour d’Or, exposé dans le Grenier de Chèvremont, illustre cette évolution tout en se distinguant par la douceur alliée à l’expressivité qui se dégage du corps souffrant.
Le détail cru du sang jaillissant en grappe et la raideur du torse et des fines jambes sont traités avec une précision tempérée par la sérénité du visage et les plis souples du perizonium.
Anne Adrian
Conservateur du patrimoine
Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole
Les photos du musée de La Cour d'Or sont de Laurianne Kieffer.
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Brigitte (dimanche, 24 novembre 2013 17:46)
Très joli texte et si beau sujet, merci Anne.
Brigitte
Anne (dimanche, 24 novembre 2013 21:49)
Merci Brigitte pour ton appréciation, qui prolonge le plaisir d'avoir contribué, grâce à Marie-Reine, à ce blog très inspiré.