In terra aliena. Chants d'errance et d'exil

Scola Metensis-In Terra aliena-Bible de Pampelune
Amiens, BM, ms latin 108 v, f°163, 1197

 

 

 

 

Clôture de la saison de musique ancienne de l'Arsenal de Metz le dimanche 22 mars 2015 à 16 heures, en l'église Saint-Pierre-aux-Nonnains.

 

Ce nouveau programme de la Scola Metensis, qui puise abondamment dans le vaste répertoire du chant grégorien né dans notre ville, évoque l'exil du peuple juif à Babylone relaté dans plusieurs livres de l'Ancien Testament. 

 

 

 

 

 

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Dans l'Antiquité, si les empires et les guerres se succèdent au Moyen Orient, Babylone avec ses merveilleux jardins suspendus, idéalement située en Mésopotamie, est une ville très prospère.


En 605 avant J-C, le roi Nabuchodonosor II s'empare une première fois de la ville de Jérusalem. Le futur prophète Daniel, alors adolescent, et quelques jeunes aristocrates sont déportés ; la Judée devient une province vassale de l'empire babylonien.

 

Scola Metensis-In Terra aliena-Munich, BSB, ms 13, f°18v
Munich, BSB, ms 13, f°18v, XIIIe s.

 

Huit ans plus tard, en -597, Nabuchodonosor reprend la ville. L'exil est cette fois plus massif – une dizaine de milliers de personnes, dont le roi Joaquin avec sa famille et l'élite du pays : scribes, artistes, artisans et prêtres parmi lesquels le prophète Ézéchiel. Un nouveau roi, Sédécias est installé sur le trône de Judée.

 

Mais en -587, après une révolte de Sédécias, Nabuchodonosor assiège une troisième fois Jérusalem et détruit le Temple ; presque toute la population est alors déportée.

Durant les décennies de cette captivité, les conditions de vie des exilés s'améliorent mais leurs pratiques religieuses restent quasi clandestines. En -538, Cyrus, roi des Perses qui conquiert Babylone et son empire, autorise les Juifs exilés à retourner à Jérusalem et à rebâtir leur Temple.

Le cycle liturgique chrétien relit ces épisodes dramatiques de l'histoire des Hébreux lors des longues semaines du Carême et aussi pendant l'Avent qui lui est parallèle. Les textes bibliques expriment la nostalgie du pays perdu, la haine de l'oppresseur mais aussi l'espoir et la certitude du retour.

 

Scola Metensis-In Terra aliena-manuscrit d'Einsiedeln
Einsiedeln, Stiftsbibliothek, ms 121, f°176, vers 960

 

Le psaume 136 (137), Super flumina Babylonis, grande lamentation des exilés, est intégralement déroulé au début de notre programme et en sera le fil rouge.

 

Ce texte de deuil et de révolte évoque le désespoir des chantres et des musiciens du Temple de Jérusalem. Leurs nouveaux maîtres leur demandent un chant de leur pays : « Chantez-nous un cantique de Sion ! » Mais ils refusent : ils ont suspendu leurs instruments aux saules – In salicibus suspendimus organa nostra – ils ne chanteront pas leurs chants les plus sacrés en terre étrangère – in terra aliena.

 

Scola Metensis-In Terra aliena-Paris, BnF, ms latin 11560
Paris, BnF, ms latin 11560, f°36, vers 1250

 

Dans la tradition grégorienne, ce psaume, accompagné de l'antienne Hymnum cantate nobis, se chante aux vêpres du jeudi. Dans le répertoire de la messe, c'est ce poignant offertoire de la fin du Carême, monumental avec ses trois versets très ornés, aux nombreux sons répercutés.

 

À  la Renaissance, Palestrina harmonise le psaume 136 à quatre voix. Mais surtout, dès que Clément Marot le traduit (Estans assis aux rives aquatiques), il devient l'étendard du mouvement protestant, prend place dans le psautier huguenot et ne cesse d'être harmonisé (Goudimel, L'Estocart...).

 

Estans assis aux rives aquatiques

de Claude Goudimel

 

 

En 1623, Salomone Rossi, musicien juif à la cour de Mantoue, le met en musique également mais en hébreu, fait unique chez les compositeurs baroques.

J. Tissot
J. Tissot

 

 

Au XIXe siècle, le psaume 136 inspire les peintres (Delacroix, Moreau, Tissot...) et les musiciens (Verdi, pour le Chœur des Esclaves de Nabucco, Alkan, Fauré...).

 

 

 

À notre époque, on le retrouve chez des musiciens tels que William Walton ou Arvo Pärt mais aussi, au début des années 70, dans la comédie musicale Godspell : On the willows, there we hang up our lyres. Sans oublier By the rivers of Babylon du groupe jamaïcain The Melodians, popularisé par Boney M en 1978.

 

* * * * *

 

Les psaumes, chants de l'Ancien testament qui donnent leur texte à une grande partie des pièces grégoriennes, se font l'écho des malheurs d'Israël : les siècles d'esclavage en Égypte ou les déportations à Babylone.

 

Dans l'introït Exaudi nos, la plainte est collective ; dans l'introït Miserere mihi, la supplication est individuelle. Le prophète Jérémie, dans son Oratio, décrit longuement la situation désespérée de son peuple. La mélodie sur deux cordes de récitation est hispanique, de l'abbaye de Silos.

 

 

par Raphaël Saur, de la Scola Metensis

 

Scola Metensis-In Terra aliena-Los Angeles, J.Paul Getty Museum
Los Angeles, J.Paul Getty Museum, Ms. 1, v. 2, f°86v, vers 1350

 

Par-delà l'angoisse et la détresse, nombreuses sont les pièces grégoriennes qui chantent l'attente des jours meilleurs, la confiance inébranlable en la parole donnée et le bonheur du retour.

 

Le psaume 125 (126), In convertendo, rappelle la délivrance, le retour de captivité, exprimant l'exultation et la reconnaissance de tout un peuple. Il est également déroulé en intégralité en fin de programme, sur un ton milanais très simple, alors que le trait grégorien Qui seminant in lacrimis, au lyrisme plus expansif, vocalise la joie de lier les gerbes d'une belle moisson après des semailles dans les larmes.

 

L'orgue portatif de Cristina Alís Raurich, construit en juin 2014 par le facteur Walter Chinaglia d'après des sources écrites et iconographiques du Moyen Âge, est unique au monde avec ses tuyaux de cuivre et son soufflet de forme arrondie.

 

Il convient parfaitement aux musiques romanes et gothiques. Cependant, il introduira le concert avec une pièce contemporaine spécialement écrite pour lui par un jeune compositeur italien ; puis interviendra avec des extraits du Ludus Danielis, le jeu liturgique de Daniel (XIIIe s.), et des pièces des écoles de Saint-Martial de Limoges et Notre-Dame de Paris (XIIe et XIIIe s.)

 

Marie-Reine Demollière

 

 

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Commentaires: 4
  • #1

    MBM (mercredi, 25 mars 2015 21:56)

    Ces billets se lisent et se relisent pour s'approcher de la beauté que nous retrouvons lors de concerts. Merci Marie-Reine.
    Brigitte

  • #2

    cegm-metz (jeudi, 26 mars 2015 09:42)

    C'est moi qui te remercie bien chaleureusement, Brigitte, pour ta présence attentive aux concerts de la Scola et pour ta fidélité indéfectible à ce blog.
    À ce soir, avec plaisir :)
    Marie-Reine

  • #3

    Anne (jeudi, 26 mars 2015 10:20)

    Un grand merci pour ce très beau message, sur un thème fort épique magnifiquement illustré, notamment avec les richesses de la BSB :-)
    D'une épopée à l'autre, je suis avec vous par la pensée (très musicale), entre Walkyrie et Siegfried...
    A bientôt
    Anne

  • #4

    cegm-metz (vendredi, 27 mars 2015 15:46)

    Oui, Anne, la BSB est un vrai coffre aux trésors et je suis loin d'en avoir épuisé toutes les richesses.
    Bon Ring à toi :-) Tu auras bien des choses à partager à ton retour.
    À très vite,
    Marie-Reine