Stetit angelus

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La fête calendaire du jour est l'occasion d'admirer ensemble un très beau manuscrit de chant liturgique à l'usage de Saint-Michel de Gaillac, une abbaye bénédictine sur les rives du Tarn dont la fondation remonte au Xe siècle.

 

 

Cliquez sur les images pour les agrandir.

 

Le monastère, doté d'une aumônerie pour les mendiants et d'une hôtellerie pour les visiteurs plus fortunés, était une étape appréciée du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Il fut affilié, non sans tensions, à l'abbaye Saint-Robert de la Chaise-Dieu en 1079, puis sécularisé en 1534.

 

 

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Église-abbatiale Saint-Michel de Gaillac. Photo : Paul M.R. Maeyaert.

 

Le manuscrit latin 776 de la Bibliothèque nationale de France, qu'on rattache à l'abbaye de Gaillac depuis une date récente, est un graduel du XIe siècle qui contient les chants de la messe avec leurs proses et prosules, des antiennes de procession, des pièces pour diverses occasions et un tonaire.

 

Dans ce manuscrit, la Saint-Michel, fête du dédicataire de l'abbaye au 29 septembre, est particulièrement valorisée. Si les chants de la Vigile n'ont que leur incipit noté, celui de l'introït du jour, Benedicite Dominum, reçoit une grande majuscule ornée.

 

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BnF, ms lat 776, f°116r.

 

Aux deux feuillets suivants, on trouve pas moins de neuf alléluias notés et l'offertoire de la fête, Stetit angelus, reçoit une prosa.

 

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Paris, BnF, ms lat 776 f°117r

Stetit angelus

offertoire pour la Saint Michel

 

 

Enregistrement « spécial blog », un matin de septembre, par deux chanteuses de la Scola Metensis. Un grand merci souriant à Annick Hoerner.

 

 

Ce chant pour les offrandes est intéressant à plus d'un titre. Son texte n'est pas tiré des Psaumes, comme c'est le cas pour la plupart des pièces grégoriennes de la messe, mais du chapitre 8 de l'Apocalypse (v. 3 et 4) :

 

L'ange se tint debout près de l'autel du temple

ayant un encensoir d'or dans sa main,

et il lui fut donné beaucoup d'encens ;

et la fumée des parfums monta en présence de Dieu. Alléluia.

 

D'après plusieurs musicologues, dont Kenneth Lévy († 2013), cet offertoire viendrait des Gaules pré-carolingiennes. On trouve la même mélodie pour d'autres offertoires non-psalmiques : Viri Galilæi et Justorum animæ. Signalons pour compléter un très rare Beatus vir, d'un manuscrit de Verdun plus tardif, enregistré par la Scola Metensis dans ses Chants des Trois Évêchés.


On peut remarquer aussi que ces offertoires commencent sur une mélodie très fortement semblable à l'une des formules d'intonation Noeagis évoquées dimanche dernier.

 

 

Partageons à présent quelques remarques que nous nous sommes faites l'autre matin, au moment d'enregistrer Stetit angelus pour vous, sur cette belle et élégante notation aquitaine dont les points et les neumes s'étagent sur le parchemin en diastématie parfaite autour d'une ligne tracée à la pointe sèche (ligne que l'on voit très bien sur la toute première image de ce billet).

 

Lorsqu'il y a dans le texte à chanter une articulation syllabique complexe, un « choc » de consonnes, le notateur prend soin de le signaler avec des neumes spéciaux dits liquescents, pour que le mot soit parfaitement prononcé et audible. Ce qui nous conduit à « voiser », à mettre du son sur certaines consonnes.

 

 

Sur aram templi, par exemple, le neume liquescent est au-dessus de la dernière syllabe -ram, le scribe ne laissant même aucun espace avant templi.

Il n'y a pas de liquescence notée pour -mpli, mais on peut penser que le m se chante à la même hauteur que la syllabe finale.

 

 

 

 

 


Ce qui n'est pas le cas au bout de la belle vocalise sur le mot ascendit où nous chantons le n sur la tierce supérieure à la note de la dernière syllabe.

 

Enfin, sur in manu, nous avons chanté la liquescence une quarte plus bas, comme le suggère la queue plus longue du neume liquescent et comme on peut le trouver précisé dans d'autres manuscrits sur cette formule.

 

 

Terminons ce billet de la Saint-Michel avec quelques images du Prince des archanges pesant les âmes ou terrassant le dragon.

 

Beaucoup de traditions se rattachent à cette fête au long des siècles, notamment à la Michaelmas de nos voisins anglais. C'était aussi le jour où on renouvelait les baux ruraux et où les paysans payaient la redevance sur leurs récoltes. 


Au Moyen Âge, de nombreux édifices religieux et sites, dont un très célèbre en France, sont placés sous le patronage de saint Michel. 


La fête est attestée au Ve siècle à Rome où on célébrait la Dédicace de la basilique Saint-Michel construite via Salaria, dans les faubourgs de la Ville éternelle. 

 

 

Marie-Reine Demollière

 

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Commentaires: 4
  • #1

    Jean-Christophe / Passée des arts (dimanche, 13 octobre 2013 21:15)

    Avant toute chose, je voudrais vous remercier pour votre interprétation du Stetit angelus qui démontre avec force une chose : pour faire passer l'émotion et la beauté, il n'est pas nécessaire de déployer des effectifs pachydermiques et de surligner les effets. Il suffit de deux voix qui se connaissent et savent donc s'écouter et se répondre, d'un travail réel sur une musique aimée, de la petite touche magique apportée par l'acoustique et, en quelques instants, on se laisse porter et on voyage très loin, on imagine une petite chapelle, un office, et surtout de la lumière qui entre par flots pour magnifier la scène. Me croirez-vous si je vous dis que j'ai écouté cette pièce trois fois de suite ?

    Sur le billet lui-même qu'ajouter, si ce n'est vous remercier, là encore, de nous faire entrer un peu dans les coulisses de l'interprétation en nous expliquant les raisons de tel ou tel choix et d'élargir enfin les horizons grâce à un choix d'iconographie aussi soigné qu'évocateur.

    Je vous adresse mille bises affectueuses et reconnaissantes. Je prends vraiment un plaisir constant à venir ici, loin de l'ébullition des réseaux.

  • #2

    cegm-metz (lundi, 14 octobre 2013 12:20)

    J'ai bien de la joie à vous croire, cher Jean Christophe, cet offertoire des Gaules est un pur joyau. Peut-être même est-ce celui qui a servi de modèle aux autres, qui le sait ? je reste confondue d'émerveillement pour cette vocalise sur "ascendit" au fort impact rhétorique.

    Ainsi vous aimez les visites en coulisses ? Cela encourage à en proposer d'autres dans le futur :-) Comme vous l'avez constaté, j'ai parcouru assidûment les coulisses de la British Library, lieu virtuel aux mille trésors dont je vous dois la découverte.

    Un grand sincère merci pour votre commentaire et moult bises affectueuses pour votre semaine.

  • #3

    Anne (vendredi, 07 octobre 2016 21:14)

    Cet offertoire est somptueux et ta présentation très nourrie, comme toujours :-)
    Tu m'expliqueras ce qu'est une prosa... demain

  • #4

    cegm (vendredi, 07 octobre 2016 23:43)

    Moult mercis, chère Anne, d'avoir laissé quelques mots ici.
    Il est vrai que le chant des Gaules a quelque chose de plus fastueux que le chant romain, de plus « théâtralisé » aussi, avec cette merveilleuse vocalise sur
    « ascendit ».
    À demain donc, pour de nouvelles découvertes :-)